Cet article date de plus de neuf ans.

Al-Qaïda versus Daech : les différences et les similitudes

Les deux organisations poursuivent les mêmes objectifs mais diffèrent sur les moyens d’y parvenir. Pour les spécialistes, al-Qaïda aurait une démarche trotskiste tandis que Daech est dans un processus stalinien.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Al-Baghdadi et Ben Laden. (FTV)

Au nom «du fils et du père», al-Qaïda et Daech ont une relation de filiation. Le second est né de la scission avec l’ancienne organisation d’Oussama Ben Laden. Le 9 avril 2013, naît l’Etat islamique en Irak et au Levant ou Etat islamique en Irak et al-Sham, plus connu sous son acronyme arabe Daech ou Isis en anglais.

Le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi se proclame calife, successeur du prophète et prend le nom d’Ibrahim. En fait, liée à al-Qaïda, la véritable création de Daech remonte à 2006 quand l'organisation formait avec d’autres groupes l’Etat islamique d’Irak.
 
Trotski et Staline
Djihad global avant d’instaurer un califat pour al-Qaida, califat avant d’exporter le djihad global pour Daech. «Les djihadistes se divisent aussi sur le plan stratégique. Certains, comme al-Qaïda et Jabhat al-Nosra en Syrie, comparables aux trotskistes en leur temps, veulent faire triompher le djihad global en exportant leur vision de l’islam, de manière à inverser le rapport de forces global en leur faveur, ce qui seul permettra l’établissement d’un califat définitif et rédempteur. La lutte passe ici avant l’établissement du modèle. D’autres, comme Daech aujourd’hui, suivent une logique plus «stalinienne» en visant l’établissement du califat ici et maintenant, sur un territoire donné à partir duquel le djihad global pourra s’exporter», explique Stéphane Lacroix, chercheur et professeur associé au CERI.
 
Stratégie
Pour de nombreux spécialistes, l’analogie avec le communisme peut aider à comprendre le mode de fonctionnement des deux organisations. «Ben Laden pouvait être considéré comme le petit-fils du révolutionnaire argentin Che Guevara. Sa méthode consistait à multiplier les foyers d'insurrection afin d'amener l'ennemi à se disperser, comme il l'a fait en Tchétchénie, au Kosovo, puis en Irak, en Arabie Saoudite et au Maghreb. Daech fait le contraire en se concentrant sur un territoire, ce qui le rend plus vulnérable car plus facile à liquider. Mais cette fragilité s'arrête là. Le commandement décentralisé de l'organisation rend son fonctionnement plus souple. Il semble que sur le terrain ses éléments ont une très large liberté d'action», relève Henry Laurens, professeur d'histoire et membre du comité éditorial de la revue Maghreb-Machrek.
 
Ennemis proches et lointains
Pour al-Qaïda, les Etats-Unis et plus généralement l’Occident, demeurent le principal ennemi. Daesh, lui, préfère les ennemis à portée de fusil. «Ils (les combattants de Daech) s’attaquent volontiers à de fragiles rivaux sunnites dans leurs zones de prédilection, mais l’enthousiasme retombe lors de confrontations trop coûteuses avec des adversaires plus sérieux : ils participent peu à la lutte contre le régime syrien, évitent le face-à-face avec les milices chiites irakiennes et modèrent leur antagonisme envers les factions kurdes», constate Peter Harling, chercheur pour l’International Crisis Group.


Franchises et filiales
Al-Qaïda a des «franchises» dans de nombreux pays, Aqpa (al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) et Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique) étant les plus virulentes et les plus riches. Daech engrange aussi des allégeances, en Egypte et en Libye, notamment. «Daech est né d'al-Qaïda. Le mouvement s'inspire de son mode de franchise qui repose sur l'allégeance au groupe de diverses entités géographiquement séparées. Ainsi, à chaque fois que le mouvement connaît un succès, il engrange des ralliements. La comparaison s'arrête toutefois là. A l'époque d'al-Qaïda, le recrutement se faisait sérieusement, avec une méthode et un programme à respecter, sans parler d'un commandement centralisé. Le fonctionnement de Daech paraît plus brouillon autant qu'on puisse le savoir», remarque Henry Laurens.

Al-Baghdadi et Ben Laden. (FTV)

Leadership du djihad dans le monde
Alliées ou concurrentes ? Les avis divergent. Reçu à l’Assemblée (France), après l’attentat contre Charlie Hebdo, Stéphane Lacroix note une compétition macabre. «La concurrence entre Daech et al-Qaïda – c’est-à-dire Jabhat al-Nosra en Syrie – relève d’une différence stratégique, les deux mouvances étant dans une logique de guerre contre l’Occident. Ils se distinguent sur les moyens à adopter : établir une base permettant d’exporter la guerre ou bien mener la guerre afin d’établir une base. Ce n’est visiblement pas l’Etat islamique, mais al-Qaïda au Yémen qui était à la manœuvre (pour les attentats, NDLR). Cette concurrence aurait pu représenter une opportunité d’affaiblir les deux mouvements en jouant sur leurs rivalités ; en l’occurrence, elle renforce plutôt la menace puisque les deux groupes semblent se livrer à une compétition.»
 
Al-Qaïda (Base en arabe) ne veut pas disparaître des projecteurs médiatiques. «Ainsi peut-on voir dans les événements récents l’expression d’une volonté d’al-Qaïda de reprendre la main par rapport à un Etat islamique qui occupe le devant de la scène médiatique depuis six mois». A quel prix ?

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.