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Algérie : le pétrole, l’oignon et la paix sociale

Alger a les yeux vissés sur le cours du pétrole, qui a entamé une descente vertigineuse sur un toboggan glissant depuis près de six mois. Pour la première fois, les autorités sont obligées de puiser dans les bas de laine, fonds de régulation des recettes. Avec cette question lancinante : comment continuer à acheter la paix sociale si les prix continuent de chuter ?
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Les torchères du centre pétrolier de Hassi Messaoud (1980). (AFP)

Quelle est la relation entre l’oignon et le pétrole ? A priori aucun, a priori seulement… Les titres de la presse algérienne ne sont pas pour rassurer leurs citoyens. Entre Importation d’oignon d’Espagne et Chute vertigineuse du pétrole, la rue comprend vite que quelque chose ne va pas. Comment continuer à tout importer ou presque si les recettes pétrolières sont divisées presque par deux ? La question est aussi politique qu’économique. La chute des cours du pétrole, qui ont perdu près de 50% depuis juin 2014,  alimente l'inquiétude sur la capacité du gouvernement à tenir ses engagements financiers dans un pays qui tire plus de 95% de ses recettes extérieures du pétrole et dont le budget dépend pour 60% de la fiscalité de l'or noir. Le prix du baril est tombé à environ 60 dollars, contre 115 en juin.
 
La question est jugée tellement grave qu’une réunion de crise au sommet a été très médiatisée. Le président Abdelaziz Bouteflika a réuni le 23 décembre un conseil des ministres restreint consacré au marché du pétrole alors que le projet de budget de l'Etat, adopté à l'Assemblée populaire nationale, n'a toujours pas été promulgué. Le 16 décembre, devant les députés, le gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, faisait part de ses inquiétudes : «Les réserves de change actuelles permettent à l’Algérie de faire face aux chocs sur la balance des paiements extérieurs à court terme, mais cette capacité à résister aux chocs se dissipera vite si les cours du pétrole restaient à des niveaux bas pendant longtemps.»  
 


Capitalisme honteux
L’économie algérienne dépend presque exclusivement de ses exportations d'hydrocarbures. Elle n’a jamais pu ou su se diversifier. «Il faut séparer deux époques différentes. Au temps du parti unique, la conviction générale, partagée par la plupart des acteurs politiques et économiques, voulait que l’industrialisation devait déboucher mécaniquement sur une diversification économique. Le modèle socialiste n’était pas encore mort. Le débat était verrouillé : il était interdit de penser en dehors de cette matrice du parti uniqueMais à partir de la fin des années 1980, et la première crise de 1986-1987, le débat a été lancé. L’Algérie a découvert un autre modèle, en tâtonnant. Mais elle n’a pas su lancer une économie performante pour plusieurs raisons. La suspicion continuait de peser sur le secteur privé. Ce qui a débouché sur une sorte de capitalisme honteux, résultat de fortunes acquises de manière plus ou moins honteuse», analyse Abed Charef, consultant à Consultant à Maghrebemergent.info
 
Le quotidien El Watan tire à boulets rouges sur le manque d’anticipation du gouvernement sur la chute des cours du pétrole et lui reproche de ne pas avoir su réduire les importations en misant sur une production locale. «N’ayant pas profité de l’embellie financière durant de nombreuses années grâce à un prix du pétrole au-dessus de 100 dollars, pour diversifier, au-delà des discours, l’économie nationale, booster les exportations hors hydrocarbures et les investissements nationaux et étrangers, ou tout au moins pour réduire la tendance boulimique des importations, le gouvernement se retrouve à lorgner, plus que jamais, le Fonds de régulation des recettes (FRR), seule bouée de sauvetage à court terme».
 
La paix sociale n’est pas soldée
Grèves à répétition, manifestations publiques (dont la plus impressionnante est celle des policiers qui ont revendiqué et obtenu une augmentation des salaires), routes coupées, grogne des chômeurs, le gouvernement risque de se retrouver vite confronté à des mécontentements populaires. «Si les cours du pétrole continuent de chuter, le gouvernement va agir dans deux directions : d’abord reprendre partiellement les formules utilisées dans les années 1980, même si elles sont désuètes ; ensuite, remettre au goût du jour les concepts de rigueur, de bonne gouvernance, de lutte contre les gaspillages, etc. sans avoir les institutions nécessaires pour mettre en œuvre ces politiques. En tous les cas, le gouvernement cherchera en priorité à préserver la paix sociale. Il a une marge de deux à trois ans, avec les réserves de change qui dépassent un peu les 193 milliards de dollars. Mais au-delà, il ne peut rien faire, car sa pensée, son action, sa conception de la gestion, c’est distribuer la rente, pas produire», prévient Abed Charef.
 

Economiquement, l’Algérie n’a pas ses destinées en main. Dépendante du pétrole, elle regarde avec impuissance les manœuvres de l’Arabie Saoudite sur le marché mondial. Or, le ministre saoudien du Pétrole prévient que l'Opep, dont son pays est le chef de file, n'allait pas réduire sa production même si les prix du brut tombent à 20 dollars le baril. Un scénario-catastrophe qui donne des sueurs froides à Alger.           
 

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