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Algérie: les courses hippiques ne sont plus ce qu’elles étaient…

Jusqu’aux années 80, les courses de chevaux ont connu leur heure de gloire en Algérie. Mais depuis, la montée de l’islam radical, la guerre civile des années 90 et la poussée du sentiment religieux ont contribué à leur déclin. Aujourd’hui, elles n’intéressent plus les jeunes. Au grand désespoir des turfistes.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des turfistes devant une course hippique à l'hippodrome du Caroubier, à Alger, le 29 mars 2018. (RYAD KRAMDI / AFP)

Au temps de sa splendeur les week-ends de courses, l'hippodrome du Caroubier (ou Abdelmadjid Aouchiche, son appellation officielle, du nom du président de la Fédération équestre algérienne de 1993 à 2004) à Alger accueillait turfistes fervents et spectateurs endimanchés... Depuis, il a perdu de son lustre à mesure qu'en Algérie dépérissait le hippisme.

Le pays compte neuf hippodromes actifs et peut se targuer d'être, avec l'Afrique du Sud, le seul pays africain où se courent des épreuves de trot attelé, selon l'AFP.

Les premières courses au Caroubier remontent à 1909, à l'époque de la colonisation française. Le lieu était alors «the place to be»: c’est de là, la même année, qu’a décollé le premier vol d'un avion motorisé en Afrique. Longtemps surnommé le «petit Longchamp», en référence à son homologue parisien, l'hippodrome fut transformé dans les années en parc de loisirs. Il n'est redevenu champ de course que l'année de son centenaire.

Autour du paddock et dans les tribunes aux peintures défraîchies, les rangs sont clairsemés... et les parieurs plutôt âgés. Derrière les guichets à l'ancienne, grillagés de fer, les employés du Pari mutuel urbain (PMU) enregistrent les paris au stylo, griffonnant sur de petits carnets. Malgré quelques rénovations, l'hippodrome Abdelmadjid Aouchiche a peu changé depuis l'âge d'or des courses hippiques algérien.

Enregistrement des paris à l'hippodrome du Caroubier à Alger le 29 mars 21018  (RYAD KRAMDI / AFP)

Quand «sonne le glas»…
«Jusque dans les années 70, les courses hippiques attiraient jockeys et visiteurs internationaux», se souvient avec nostalgie Ali Bouam, employé du PMU, filiale de la Société des courses hippiques et du pari mutuel (SCHPM), un établissement public. L'interdiction en 1977 des paris sur les courses organisées à l'étranger a porté un premier coup dur au secteur, en privant le PMU algérien de la manne des mises sur les courses françaises. Cela a «sonné le glas» du monde du cheval en Algérie, estime Ali Bouam.

Le transfert des courses algéroises à Oran (à 400 km d'Alger), puis à Zemmouri (60 km), durant les 25 ans de fermeture du Caroubier, a contribué à décourager un peu plus les turfistes algérois. Lesquels représentent les trois quarts des parieurs du pays. Dans le même temps, la montée de l'islamisme, la guerre civile (1992-2002) et la poussée du sentiment religieux ont achevé de faire des champs de courses des «lieux de péché» peu fréquentables. Notamment parce que l'islam prohibe les jeux d'argent.

Mille fois moins qu’en France        
En Algérie (42 millions d'habitants), il reste approximativement 10.000 parieurs, dont «les plus jeunes ont 50 ans», estime Karim Cheriet, directeur du PMU-Algérie.

Le montant annuel des enjeux atteint environ un milliard de dinars (7,2 millions d'euros), mille fois moins qu'en France. Un chiffre inchangé depuis 20 ans malgré une forte inflation. Or, si 65% de ces mises reviennent aux parieurs gagnants, les 35% restants financent l'essentiel de la filière hippique en Algérie.

Les recettes de la SCHPM, chargée notamment de l'organisation des courses et de l'entretien des hippodromes, couvrent à peine les coûts d'exploitation, empêchant tout investissement, déplore son directeur général, Ahmed Rayane. Faute de moyens, les dotations des courses n'ont cessé de régresser, au point que les grands prix les plus prestigieux ont été supprimés.

Pour préserver la survie de la filière, la SCHPM «exonère les propriétaires de chevaux des droits d'engagements pour les courses», explique à l'AFP M.Rayane. Ce qui grève encore un peu plus le budget de sa société.

Un jockey et son cheval à l'hippodrome du Caroubier le 29 mars 2018  (RYAD KRAMDI / AFP)

Les propriétaires sont moitié moins nombreux depuis la guerre civile (1992-2002), relève de son côté Aissa Zaïdi, président de leur association. En 2014, il en subsistait 700 dans tout le pays, selon un chiffre cité par le journal Liberté. «Les moyens manquent», les courses sont peu nombreuses et mal dotées, regrette-t-il. Il craint que disparaisse «ce qui reste» des courses en Algérie. En 2014, la tenue des courses au Caroubier avait déjà été suspendue pendant plusieurs mois en raison d’un conflit entre la SCHPM et les propriétaires éleveurs de chevaux pour défaut de «paiement (par la première) des arriérés de dotation de plus de 16 mois», rapporte Liberté.

Les courses «ringardes»
L’ambiance est toute aussi morose chez les turfistes. «En 50 ans, j'ai assisté à la régression des courses hippiques», moins nombreuses, moins spectaculaires, raconte avec nostalgie Mohamed, turfiste depuis ses 17 ans.

Le restaurant renommé du Caroubier, qui attirait au-delà du cercle des parieurs, a fermé ses portes. «Tout est vieux et démodé», regrette Rachid, parieur depuis 30 ans. Aucun écran ne retransmet les courses, dont l'ordre d'arrivée est porté à la craie sur un tableau noir, ou sur une feuille volante qui y est épinglée. Résultat: les jeunes trouvent les courses «ringardes», se désole un turfiste qui a tenté sans succès de transmettre sa passion à son fils.

Pour le directeur du PMU-Algérie, l'urgence est d'attirer de nouveaux joueurs, jeunes, pour augmenter les recettes. Priorités: abolir l'interdiction de miser sur les courses à l'étranger, informatiser les paris et créer une chaîne télévisée dédiée. Mais déjà a surgi un premier obstacle: «La loi sur le commerce électronique, votée en mai, interdit les paris en ligne», souligne-t-il, amer. Le coup de grâce?

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