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Birmanie: les déceptions s'accumulent après un an de pouvoir d'Aung San Suu Kyi

Des élections partielles se déroulent en Birmanie le 1er avril 2017. L’occasion d’un premier bilan pour le gouvernement d'Aung San Suu Kyi, en poste depuis un an. Alors que l’armée détient les ministères les plus importants et contrôle des pans entiers de l’économie, il peine à relancer le pays. Les critiques commencent à pleuvoir contre le prix Nobel de la paix 1991…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
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«Même les critiques les plus acerbes d’Aung San Suu Kyi n’auraient pas anticipé un tel scénario: (…) cette Lady naguère assignée à résidence pendant quinze ans par une junte militaire, punie pour son obstination à conduire son pays sur les chemins de la liberté, se mure aujourd’hui dans le silence», constate Le Monde.

Immensément populaire dans son pays, la fille du général Aung San, héros de l’indépendance birmane, est officiellement ministre des Affaires étrangères et conseillère d’Etat. Autant de titres qui font d’elles «un Premier ministre de facto». Mais après une année au sommet de l’Etat, même si elle reste une figure adulée, des dents commencent à grincer.

«L'électorat urbain politiquement engagé croit que le gouvernement ne répond pas à ses attentes», explique l'analyste politique Richard Horsey, consultant pour l'International Crisis Group. «C'est en partie parce que ces attentes étaient inévitablement trop élevées. Mais en partie aussi à cause des contre-performances du gouvernement», ajoute-t-il.

Aung San Suu Kyi, aujourd'hui âgée de 71 ans et qui fuit les conférences de presse, apparaît comme une figure de plus en plus distante, notent les analystes.

De son côté, elle exhorte ses concitoyens à la patience. Comme lors des funérailles de Ko Ni, un avocat musulman proche d'elle, assassiné fin janvier en plein jour à l'aéroport de Rangoun. «Pour l'histoire d'un pays, pour l'histoire d'un gouvernement, 10 mois ou un an, ce n'est pas beaucoup», a-t-elle alors dit à la foule.


Mais les déceptions s'accumulent. Notamment en raison des perspectives économiques qui ne sont pas bonnes. La croissance ralentit et l'investissement étranger devrait diminuer pour la première fois en quatre ans. Tandis que le pouvoir d'achat de la population est grignoté par une inflation à deux chiffres.

Du côté des libertés publiques, les poursuites pour diffamation sont nombreuses contre des journalistes, des critiques ou des militants, intentées notamment par des membres du parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie. Et dans les coulisses, on lui reproche d'avoir concentré trop de pouvoirs dans ses mains. Tout en étouffant le débat au sein de sa formation.

L’armée reste toute-puissante
Pour autant, celle que les Birmans appellent The Lady, dispose d’une très étroite marge de manœuvre en raison de la toute-puissance de l’armée. Héritée de la junte, la Constitution empêche Mme Suu Kyi d’accéder à la présidence. Tout en garantissant aux militaires 25% des sièges au Parlement.

L'armée détient toujours trois ministères importants: Défense, Frontières, Intérieur. Tandis qu’elle conserve un poids économique très fort en contrôlant de nombreux secteurs clés, «notamment les secteurs exportateurs des industries extractives, les hydrocarbures et les pierres précieuses».

Pour autant, la Lady est aussi critiquée pour sa mauvaise gestion des pourparlers de paix avec les insurgés ethniques. Depuis son indépendance en 1948, la Birmanie est confrontée à des conflits dans les régions frontalières. Ces derniers mois, les combats se sont intensifiés pour atteindre, dans certaines régions, des niveaux jamais vus depuis des années.


Pour certains observateurs, cette recrudescence des combats pourrait être fatale au parti d'Aung San Suu Kyi lors des élections partielles du 1er avril 2017. «Il y avait l'espoir que la situation s'améliore avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement. Mais ce n'est pas le cas, c'est même pire», explique Bertil Lintner, expert suédois de la Birmanie, collaborateur du site Asia Times cité par l’AFP.

«Une capacité à gouverner remise en cause»?
Sur le plan international, nombre d’observateurs sont choqués par le silence observé depuis des semaines par Aung San Suu Kyi sur la crise dans l'Etat de l’Arakan (nord-ouest), où l'armée est accusée d'exaction contre la minorité musulmane des Rohingyas. Dans une interview à la BBC, diffusée le 6 avril 2017, la dirigeante birmane a nié qu'il y ait un nettoyage ethnique à l'œuvre dans son pays. 

«Je pense que l'expression ‘‘nettoyage ethnique’’ est trop forte pour décrire ce qui se passe», a-t-elle estimé. La situation «engendre beaucoup d'hostilité. On voit aussi des musulmans qui tuent d'autres musulmans s'ils coopèrent», a-t-elle affirmé. Et comment décrit-elle cette situation? «On constate une division entre des gens. Et nous essayons de refermer cette division», a-t-elle ajouté. 

«Pour certains analystes, en défiant l’armée sur ce dossier, le gouvernement pourrait se placer dans une situation délicate», commente la BBC dans un portrait de la Lady.

D’autres sont plus sévères. Cette dernière a «choisi politiquement de ne rien dire pour ne pas risquer d’agacer les militaires et la population birmanes qui restent hostiles» aux Rohingyas, pense Renaud Egreteau, du think tank Wilson Center à Washington, cité par Libération. «Le fait d'ignorer complètement bon nombre d'informations est non seulement une tache sur son blason. Mais je pense aussi que cela remet en cause sa capacité à gouverner», estime David Mathieson, analyste indépendant, qui collabore au Guardian.

Pour Aung Tun Thet, le conseiller du président, il est trop tôt pour juger la Ligue nationale pour la démocratie. «Nous ne pouvons pas dire, après un an, quelle a été la performance du gouvernement, comme pour un examen. Nous ne pouvons pas dire s'il a réussi ou échoué», explique-t-il.

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