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«Le Bénin est devenu un pays où on ne sait même plus organiser des élections»

Les Béninois sont appelés aux urnes pour le premier tour de la présidentielle le 6 mars 2016. A côté de ses voisins, où les processus électoraux sont souvent synonymes de crise politique, le Bénin paraît être un havre de démocratie depuis vingt-cinq ans. Pour Gilles Yabi, analyste politique et à l'origine du think tank ouest-africain Wathi, le modèle béninois a pourtant du plomb dans l'aile.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le 3 mars 2016 à Cotonou: des motocyclistes passent devant les affiches des candidats Patrice Talon et Pascal Koupaki, candidats de la présidentielle béninoise dont le premier tour se tient le 6 mars 2016. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

Votre diagnostic concernant la démocratie béninoise, souvent citée en exemple en Afrique de l'Ouest depuis la Conférence nationale, est sévère. Selon vous, elle est déliquescente sinon corrompue. Pourquoi?
Les deux termes renvoient à une même réalité. La démocratie béninoise est corrompue par les pratiques politiques qui ont cours dans le pays. Entre autres, un​ clientélisme d'un niveau sans précédent​. Les Béninois disposent d’une démocratie qui leur permet de choisir leurs dirigeants, pas le système politique ​dont ils auraient besoin en termes ​de services publics et de progrès économique et social​. Il est vrai que le Bénin, en comparaison d'autres pays de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, n’a traversé aucune crise politique ou sécuritaire majeure ces dernières années. Mais il ne suffit pas d'échapper à des conflit​s ou à de la violence politique pour penser qu'on a un système démocratique modèle. 

La démocratie béninoise peut mieux faire ou elle doit totalement se réinventer?
Elle doit se réinventer pour être à la hauteur des enjeux​ du présent et surtout de l'avenir​. Et ce n’est pas qu’au Bénin qu’une telle démarche est nécessaire. Tout cela renvoie à la manière dont ​les pays de la région​​ ont ​pensé ​appliqu​er​ un système sans l’adapter ​aux​ ​réalités ​​de leurs sociétés et sans réfléchir aux ​besoins ​d​es générations futures. Aujourd’hui, nous avons le recul nécessaire pour changer le système.

Il y a une différence fondamentale entre le progrès démocratique – dans le sens de l'augmentation des libertés politiques des citoyens – ​et la construction d’un Etat. Les deux processus sont indispensables. Le problème vient du fait que l’on ​pense pouvoir construire des démocraties ​effectives et utiles ​en négligeant l​a construction des​ Etats. Pis, en ​réduisant ​la démocratie​ à la lutte par tous les moyens pour gagner des élections​, ​les acteurs politiques​ ont commencé à détruire le peu d’Etat ​et de nation ​existant. Le Bénin est​ dans cette situation​. La corruption attaque le fondement même de la démocratie. Les gens peuvent certes voter. Cependant s'ils le font parce qu'on leur a distribué de l'argent ou qu'on en a distribué à ceux qui leur donne des consignes de vote, ce n'est plus de la démocratie mais un semblant de démocratie. 

Est-ce un argument de dire que les populations sont réceptives à la corruption parce qu'elles sont pauvres?
C'est plus compliqué que cela. C'est un fait que le gouffre en termes de revenus et de niveau d'éducation entre les élites d'une part, et la masse des populations de l'autre ne favorise pas un fonctionnement démocratique satisfaisant. Car il est trop facile pour les élites d'acheter le soutien d'une partie des électeurs, avec l'argent mais aussi avec leur maîtrise du langage et leur posture de supériorité par rapport aux électeurs.

Cependant, les populations les plus défavorisées ne sont pas stupides et ne votent pas nécessairement pour le candidat qui donne le plus d'argent. Mais les leaders d'opinion locaux, eux, reçoivent beaucoup plus d'argent pour soutenir des candidats et font campagne réellement sur le terrain pour influencer les électeurs.


Gilles Yabi  (DR)

Quelles sont les solutions que vous préconisez pour redorer le blason de la démocratie béninoise?
Il faut s’attaquer aux institutions politiques​ et restaurer par un système d'incitations positives et négatives le sens de l'intérêt général​. Les lois ne sont pas appliquées parce qu’il n’y a pas d’institution pour garantir leur application. En outre, les personnalités qui dirigent ​l​es institutions manquent de crédibilité : il y a un problème de leadership​ et de responsabilité. Il découle, entre autres, de la politisation de toutes les nominations aux fonctions publiques​.

Il faut également s’attacher à réguler les activités politiques en les encadrant, notamment en matière d’enregistrement et de financement des partis politiques, en mettant en place un système qui ​récompense les bons comportements et sanctionne ​les pratiques  nocives… C’est le cas dans de nombreux pays anglo-saxons. ​Par exemple, dans un pays comme le Ghana qui est tout proche, la commission électorale est en charge de la régulation de l’ensemble des activités politiques​ et la manière dont elle a été pensée lui donne de réelles chances ​d'être indépendante.

La Commission électorale béninoise ne serait pas indépendante…
Elle est autonome, c'est ce que dit son nom (Commission électorale nationale autonome). Mais quand bien même on la qualifierait d’indépendante, elle ne le serait pas ​nécessairement ​pour autant. On voit bien comment fonctionnent celles auxquelles cet adjectif a été attribué dans plusieurs pays​ du continent.​ L'indépendance ne se décrète pas. Elle s'organise dans la manière dont la composition et le fonctionnement de l'institution sont conçus.

A Cotonou, des électeurs attendent de voter le 3 mars 1996 lors du premier tour de la présidentielle. A l'époque, le scrutin démarre dans une certaine confusion : les bureaux de vote ont ouvert leurs portes avec du retard et certains ne disposaient pas du matériel de vote.  (CHRISTOPHE SIMON / AFP)



En dehors du fait que certains électeurs ne sont toujours pas en possession de leurs cartes d’électeurs, quel est votre sentiment sur l’ensemble de la campagne présidentielle?
Elle s’est globalement bien déroulée. J’étais à Cotonou lorsqu'elle a démarré. Les candidats sont libres de leu​​r​s​ mouvement​s​ et il n’y a pas d’animosité particulière. Tout le folklore électoral s’est mis en place. Il faut se réjouir de cet environnement assez festif pour des élections. Malheureusement, ​​la démocratie béninoise est​ bien tombée​ dans un piège.

La compétition liée ​aux élections présidentielles provoque une certaine excitation qui en fait oublier le véritable enjeu aux populations. Cette atmosphère de jeu, ​qui rappelle ​les compétitions sportives, éloigne ces dernières d​e ce qui est le​ plus important : ​un questionnement sur l'état réel du pays et de la société ​et sur son avenir. 

La société civile craint qu’il y ait des fraudes pendant le scrutin...
Il y a une véritable incertitude autour des résultats​ du premier tour​. S’il n’y a pas de fraudes, c’est une élection qui est ouverte. Le problème de la distribution ​tardive et chaotique ​des cartes d’électeurs démontre qu’il n’y a pas une bonne maîtrise du processus technique​ et logistique​. Le Bénin est devenu un pays où on ne sait même plus organiser des élections. On le constate depuis les deux derniers scrutins. La corruption du système a fini par créer ​aussi ​de l’incompétence. 

On ne sait pas organiser des élections ou on fait semblant de ne pas savoir compte tenu de tous les avantages liés au chaos?
Je crois qu'on a maintenant les deux explications. Il peut y avoir une volonté délibérée de créer les conditions d'élections mal organisées, ce qui favorise les fraudes et rend difficile de les mettre à jour. Mais on a aussi tellement mélangé la politique et ce qui relève de la technique et de la logistique qu'on a aussi des personnes qui ne sont pas à leur place dans la chaîne d'organisation des élections. Cela produit de l'incompétence et, au final, des retards et un cafouillage au moment du vote.

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