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Le débat Kennedy-Nixon en 1960 à la télévision : le premier de tous les temps

Le 26 septembre 1960, le vice-président Richard Nixon rencontre sur le petit écran son challenger à la présidentielle, un jeune sénateur relativement inconnu du Massachussets, John F. Kennedy. La télévision, qui équipait alors quelque 90% des foyers américains, fait son entrée dans la campagne. Quelque 74 millions d’Américains auraient vu le débat. La télé a-t-elle permis à Kennedy de l'emporter?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le premier débat télévisé opposant Richard Nixon, vice-président des Etats-Unis (à gauche), et John Kennedy, sénateur du Massachussets (à droite), le 26 septembre 1960 dans un studio de Chicago. Ce jour-là, Richard Nixon, peu en forme, a peut-être perdu l'élection... (AFP)

La similitude des dates est frappante. Le débat Hillary Clinton-Donald Trump, qui a lieu le 26 septembre 2016, marque très précisément le 56e anniversaire de la première rencontre télévisée de tous les temps entre deux candidats à l’élection présidentielle des Etats-Unis d’Amérique. Une rencontre qui a forgé un mythe.

En fait, ce débat de 60 minutes est le premier d’une série de quatre : les autres auront lieu le 7, 13 et 21 octobre. Il va permettre aux téléspectateurs d’observer les deux candidats en chair et en os, plutôt que de les voir en photo dans la presse écrite ou de les entendre à la radio.

Kennedy en meilleure forme
Le contraste entre les débatteurs est frappant. Le jeune sénateur de 43 ans, peu connu du grand public, apparaît «bronzé, confiant et bien reposé», observe le site du Museum of Communications. «Je ne l’avais jamais vu autant en forme», écrira par la suite le vice-président de 47 ans. Par contraste, ce dernier, entré en politique dès 1945 et qui s’était donc déjà fait un nom, n’apparaît pas à son avantage. Le mois précédent, il s’était «sérieusement blessé au genou et avait passé deux semaines à l’hôpital». Il est pâle, mal rasé, amaigri. Sa chemise tombe mal. Il refuse le maquillage qui aurait pu améliorer son apparence.


Conclusion: «Il ne fait aucun doute que Kennedy a donné une meilleure image que Nixon le soir du grand débat», raconte Slate. L’image de la jeunesse, du changement et de l’optimisme des années 60. En clair, la rencontre permet au parlementaire de faire oublier son inexpérience et ses origines catholiques. Lesquelles ne lui étaient pas forcément favorables pour se faire élirer à la Maison Blanche dans un pays de culture protestante.

L’apparence avant toute chose…
On a oublié que le premier des quatre débats (les trois derniers ont surtout concerné la politique étrangère) portait sur les dossiers de politique intérieure. Selon les observateurs, les échanges ont été riches mais leur rapidité n’aurait pas permis aux électeurs d’«évaluer justement les deux hommes». En clair, le jugement des électeurs s’est sans doute forgé sur l’apparence. Autant d’éléments favorables à JFK. Un constat qu'aurait fait, dans un langage fleuri, l'autre membre du «ticket» républicain (pour la vice-présidence) Henry Cabot Lodge: «Ce fils de p... vient de nous faire perdre l'élection», aurait-t-il dit.    

A en croire Time, pour Nixon, le mal était fait dès le premier débat. Même si le vice-président de Dwight Eisenhower «s’est montré bien meilleur lors des débats suivants» et est apparu mieux dans sa peau grâce à la diète que lui avait fait suivre son entourage. Il s’est avéré «impossible d’éloigner l’image que les gens avaient imprimée dans leur cerveau lors de la première rencontre», a expliqué au célèbre newsmagazine Ted Sorensen, l’un des conseillers du candidat démocrate.

Une chose est sûre : le 9 novembre, Kennedy l’emporte d’une très courte tête (49,7% contre 48 ,5%), avec à peine 112.000 voix de plus que le républicain. A écouter le successeur de «Ike» (Eisenhower, qui ne pouvait pas se représenter), cité par Time, «c’est la télé, plus que toute autre chose, qui a renversé la vapeur»

John Kennedy (à gauche) et Richard Nixon (à droite) se quittent à l'issue du 2e débat télévisé entre les deux candidats à la présidentielle  (AFP - DB - UPI - DPA)

Est-ce si sûr ? Difficile de le savoir. Car l’on ne dispose pas d'études d’opinion, tout aussi imparfaites qu’elles soient, qui permettraient peut-être aujourd’hui d’en savoir un peu plus. Slate donne une idée des discussions plutôt contradictoires, pour ne pas dire nébuleuses, qui ont agité le petit monde des spécialistes à ce sujet. En fait, tous les jugements relèvent «de l’impression personnelle», conclut le site…

On a dit que les auditeurs du débat à la radio auraient trouvé que… Nixon avait été meilleur. Mais ces auditeurs constituaient une minorité. A l’époque, «88% des foyers américains étaient équipés de la télévision, contre 11% au cours de la décennie précédente», rapporte Time. Du pouvoir de l’image… Pour autant, il ne faut pas forcément tomber dans la «télé-mythologie», selon une expression de Slate.

Tournant
Une chose est sûre : ce premier débat a constitué un tournant. La politique venait de faire son entrée dans le paysage audiovisuel, alors que jusque-là, celui-ci accueillait surtout des émissions de divertissement. Et la rencontre du 26 septembre 1960 est devenue un mythe. Ce n’est sans doute pas un hasard si Richard Nixon, à nouveau candidat en 1968 et en 1972, a refusé de nouvelles confrontations sur le petit écran : il gardait un mauvais souvenir de la première émission… La suivante eut lieu en 1976 et elle opposa le républicain Gerald Ford au démocrate Jimmy Carter.

Cette forme de communication politique a fait des émules dans le monde entier. En France, la première rencontre à la télévision entre deux candidats a opposé en 1974 Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand. Et personne n’a oublié le fameux : «Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur !». Une pique assassine à laquelle Mitterrand le florentin, piqué au vif, répondit lors d’un nouveau débat présidentiel opposant les deux hommes sept ans plus tard, lors du scrutin de 1981 : «Vous avez tendance un peu à reprendre le refrain d'il y a sept ans, “l'homme du passé”. Il est quand même ennuyeux que vous soyez devenu, vous, dans l'intervalle, l'homme du passif.» De la magie des petites phrases…

Le président des Etats-Unis John Kennedy en conférence de presse le 11 octobre 1961. (AFP - Schulmann-Sachs - DPA)

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