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Les OGM vont-ils bloquer le grand marchandage Europe-Amérique ?

Les Etats-Unis et l’Union européenne sont prêts à discuter d’un accord global de libre-échange. Dans le cadre de ces négociations, plusieurs dossiers font déjà débat et notamment l’exception culturelle, demandée par la France, et les OGM. Sur ce dernier point, Washington voudrait que l’UE ouvre son territoire.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des députés européens écologistes demandent une Europe sans OGM lors d'une séance au parlement de Strasbourg (9 mars 2010). (PATRICK HERTZOG / AFP)

L'Union européenne et les Etats-Unis, dont les échanges représentent déjà 30% des échanges mondiaux, ont décidé d'approfondir leurs relations économiques en convenant d'ouvrir des négociations en vue de la conclusion d'un accord global sur le commerce et l'investissement. 

Actuellement la balance commerciale entre les Etats-Unis et l’UE est plutôt favorable à l’UE qui exporte plus vers les USA qu’elle n’importe. (291 milliards contre 205 milliards d’euros. Pour la commission européenne, «cet accord euro-américain sera le plus important accord commercial bilatéral jamais négocié. Il pourrait de surcroît augmenter la production économique annuelle de l'UE de 0,5%. Il aura en outre pour visée d'aligner les règles et les normes techniques applicables aux produits qui, à l'heure actuelle, constituent le principal obstacle aux échanges transatlantiques» précise la commission.

Entre les deux continents, ce ne sont pas tant les taxes douanières, très faibles, mais les questions de normes qui pourraient limiter ce commerce. Des normes nombreuses (techniques, environnementales, juridiques…) qui vont jusqu’aux questions de droits audiovisuels (une question importante sur laquelle Paris se montre déterminé à imposer sa position) ou aux questions sensibles comme les hormones dans la nourriture animale ou les cultures d’OGM (organismes génétiquement modifiés).

«L’accord envisagé ne cherche pas à favoriser les échanges de biens et services par la réduction des barrières tarifaires: le commerce transatlantique représente déjà le tiers du commerce mondial et les droits de douane sont marginaux. Cette nouvelle étape de libéralisation concerne avant tout les cadres réglementaires, c’est-à-dire les règles, les normes, les droits qui régissent l’économie et le vivre ensemble», expliquaient justement les députés européens EELV Yannick Jadot et Karim Zeribi dans Libération.

Pour eux, «côté américain le mandat est clair : c’est toujours plus d’OGM». Il faut dire que pour l'instant la position européenne ne semble pas très claire sur ce dossier. José Manuel Baroso a beau affirmer que les produits génétiquement modifiés seront exclus de la négociation, l'administration Obama rétorque que si discussions il y a, «tout sera sur la table», rappelle Le Monde. Fin avril, des parlementaires européens ont demandé dans une résolution que les négociations transatlantiques «ne menacent pas le "principe de précaution" européen». De son côté, Karel De Gucht, le commissaire européen au Commerce a affirmé qu'«en l'état actuel des choses, les organismes génétiquement modifiés peuvent être autorisés et le seront». 

La situation est d'autant plus complexe que les pays européens ne sont, bien sûr, pas tous sur une position commune.

Manifestants anti-OGM sur le toit d'une implantation Monsanto à Trèbes, dans le sud-ouest de la France, le 15 avril 2013. (ERIC CABANIS / AFP)

La situation des OGM en Europe
Les OGM sont strictement réglementés en Europe où seule la mise en culture de deux semences génétiquement modifiées est autorisée. Une exception dans le monde où quatre pays américains – Etats-Unis, Canada, Brésil et Argentine – concentrent la plupart des cultures génétiquement modifiées dans le monde (83,4% des cultures OGM).

Deux OGM seulement ont été autorisés à la culture dans l'UE: la pomme de terre Amflora, développée par le groupe allemand BASF, qui s'est avérée un échec commercial, et le maïs OGM MON 810 (lignée du maïs Bt). Plusieurs pays – France, Luxembourg, Autriche, Hongrie, Grèce, Bulgarie et Pologne – ont adopté des clauses de sauvegarde pour interdire sur leurs territoires la culture des OGM autorisés.

Aujourd'hui, six pays de l'UE (Espagne, Portugal, République tchèque, Pologne, Slovaquie et Roumanie) cultivent 114.490 hectares de maïs Bt. Deux autres pays (Suède et Allemagne) ont planté 17 hectares de pomme de terre Amflora. Ainsi, 114.507 hectares de cultures biotechnologiques sont plantées dans l'UE, dont 97.346 en Espagne. «En 2011, les OGM ont été cultivés sur 0,1% des terres arables en Europe, contre quelques 4% de terres cultivées en agriculture biologique», soulignent les Amis de la terre Europe.

Les Américains ont du mal à comprendre cette position. Un rapport publié aux Etats-Unis estime que l’UE ne peut pas atteindre les objectifs de sa politique agricole sans introduire des cultures génétiquement modifiées et sape sa compétitivité dans l'agriculture en s'y opposant. Ce rapport du centre Lleida-Agrotecnio et de l'Institució Catalana de Recerca i Estudis Avançats affirme que «le reste de la planète a adopté la technologie des OGM très impopulaire en Europe qui représente pourtant la seule façon de développer une agriculture durable». Selon ce chercheur, dont les travaux paraissent dans la revue américaine Trends in Plant Science, «nombre d'aspects de la Politique agricole commune, y  compris ceux concernant les OGM, sont contradictoires et font obstacle aux objectifs mêmes qu'elle a établis».

Le président Obama inspecte un champ de maïs touché par la sécheresse dans la vallée du Missouri aux Etats-Unis en 2012. (JIM WATSON / AFP)

USA : soutien présidentiel aux OGM
Aux Etats-Unis, l’utilisation des OGM est très répandu (sur 43,1% de ses terres agricoles). 

L'administration Obama s'est d'ailleurs montrée très favorable au développement des OGM dans le monde et à leur défense. L'étude des documents wikileaks montrerait que les Etats-Unis se sont servis de leur diplomatie pour promouvoir les OGM. Selon l’ONG Food and Water Watch, «les responsables du département d’Etat et des experts invités ont participé à 169 événements publics dans 52 pays entre 2005 et 2009». Un des buts est bien entendu d’influencer les politiques nationales pour qu’elles soient plus permissives avec les plantes génétiquement modifiées, rapporte un site canadien sur la mondialisation.

Le Bureau au commerce extérieur américain ne se prive d'ailleurs pas de critiquer la position européenne. «Des gouvernements étrangers continuent d'imposer des mesures discriminatoires ou inutiles sur les exportations agricoles américaines», a estimé le représentant au commerce extérieur américain par intérim Demetrios Marantis. «Ces barrières affectent les agriculteurs américains (...), mais elles privent également les consommateurs dans le monde de produits agricoles américains sûrs et de grande qualité», a-t-il ajouté.

Aux Etats-Unis mêmes, le président Obama a signé une loi qui met quasiment les producteurs d’OGM au-dessus des lois. Selon ce texte, la justice américaine ne pourra plus s'opposer aux mises en culture de plantes génétiquement modifiées, même si leur homologation est contestée devant un tribunal. Une disposition perçue comme un cadeau aux géants de l'agrochimie, Monsanto en tête. Surnommé «Monsanto Protection Act», ce texte permet au ministère de l'Agriculture d'ignorer «une décision d’un tribunal qui interdirait la plantation de cultures génétiquement modifiées parce qu’elles sont illégales», note Greenpeace.

Hasard, le géant américain de l'agrochimie Monsanto a annoncé un bénéfice meilleur qu'attendu pour le deuxième trimestre de son exercice décalé, dopé notamment par les ventes de maïs transgénique. La firme a aussi souligné le potentiel de développement des ventes dans les graines de soja génétiquement modifiées, parlant d'«opportunités représentant des milliards de dollars dans les cinq prochaines années», particulièrement dans les Amériques.

Débat sur l'accord de libre-échange en Europe
Positions divergentes entre les pays, position peu claire de la commission, le débat sur le cadre des négociations qui pourraient s'ouvrir rapidement avec les Etats-Unis n'est pas encore fixé. Et faute de cadre consensuel, les critiques pourraient se multiplier contre l'Union européenne.

«Si José Manuel Durao Barroso voulait fournir aux eurosceptiques un argument de campagne clef en main il ne s’y prendrait pas autrement. A un an des élections européennes de mai 2014, le président de la Commission n’a rien trouvé de mieux que de se lancer dans la négociation d’un vaste accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne », estime Jean Quatremer le très pro-européen spécialiste Europe de Libération qui cite ce commentaire d'un haut fonctionnaire européen: «On se demande vraiment pourquoi Barroso nous a embarqués dans cette galère politiquement explosive» dans laquelle «l’Europe a tout à perdre et quasiment rien à gagner».

«François Hollande doit porter l’ambition d’une régulation du commerce qui contribue à l’émergence d’un modèle européen, économique, social, environnemental et démocratique. Et, partant, refuser un agenda de pure libéralisation qui en balaie toute perspective», écrivaient les élus verts Yannick Jadot et Karim Zeribi. Décidément, le débat ne fait que commencer... alors qu'aux Etats-Unis on annonce la mise sur le marché d'un animal génétiquement modifié (AGM), un saumon.

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