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Les pays de l'Est eurosceptiques peuvent-ils casser l’Europe?

Depuis la victoire des conservateurs en Pologne, les pays eurosceptiques en Europe semblent se renforcer au sein du «groupe de Visegrad» (du nom d’une ville de la Hongrie du Nord). Un groupe composé de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie. Le signe durable d’une coupure entre Européens de l’Est et de l’Est au sein de l’UE ?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Viktor Orban, Premier ministre d'un pays (très) eurosceptique, la Hongrie. Photo prise au siège de la Commission européenne à Bruxelles le 25 octobre 2015. (Reuters - François Lenoir)

Depuis les élections législatives et la victoire du parti Droit et Justice (PiS) en octobre 2015, la Pologne s’est dotée d’un gouvernement conservateur. Conséquence: la politique de Varsovie s’est beaucoup durcie. En quelques mois, le gouvernement a réformé le Tribunal constitutionnel, contre-pouvoir capable de perturber la mise en œuvre de ses réformes. Il a changé les dirigeants des médias publics. Et il a annoncé une taxation des banques et des hypermarchés.

Toutes ces mesures ressemblent fort à celles réalisées en Hongrie par le Premier ministre Viktor Orban. Le nouveau pouvoir polonais ne manque d’ailleurs jamais de faire l’éloge de ce dernier.

«Racines chrétiennes»
Dans le même temps, la victoire du PiS a renforcé le groupe de Visegrad, fondé en 1991 à l’issue d’une réunion entre les dirigeants hongrois, polonais et tchécoslovaque dans cette ville de Hongrie du Nord. Comprenant initialement trois membres, il en comporte quatre depuis la scission de la Tchécoslovaquie en deux entités : République tchèque et Slovaquie. Objectif de départ du «V4»: «balayer les restes du communisme, surmonter les antagonismes historiques, et rejoindre le processus d’intégration européenne», résume Reuters.

Mais au fil des années, les objectifs du groupe informel ont évolué. Ils sont devenus parfois eurosceptiques, et même «illiberaux» («non libéral» dans le sens de «opposés aux principes de libéralisme»), aux dires de la presse anglosaxonne. Pour qui le terme «illiberal» est un quasi gros mot…

A l’automne 2015, le V4 a refusé les quotas de migrants proposés par la Commission de Bruxelles. L’immigration est d’ailleurs un thème fédérateur pour les quatre membres du groupe. Et leurs dirigeants ne sont pas avares de déclarations sur le sujet. Comme le premier ministre slovaque, Robert Fico, qui n’hésite pas à évoquer un «sacrifice rituel» de l’Europe en la matière.

Le Premier ministre slovaque, Robert Fico, à Bruxelles le 23 septembre 2015 (REUTERS - Eric Vidal)

Les pays du groupe insistent sur les aspects «identitaires» du dossier. Il ne faut pas oublier que ceux qui arrivent en Europe «sont les représentants d’une culture profondément différente», affirmait ainsi Viktor Orban en septembre 2015. «Dans leur majorité, ce ne sont pas des chrétiens mais des musulmans. C’est une question importante, car l’Europe et l’identité européenne ont des racines chrétiennes», poursuivait-il.

Refus d’une «société multiculturelle»
Reste à expliquer ces différences d’approche entre pays est- et ouest-européens. Les premiers «n’ont pas confiance dans le modèle occidental d’une société multiculturelle. Ils regardent ce qui se passe en Europe de l’Ouest et (ressentent) plutôt une aversion» vis-à-vis de cette question, analyse ainsi Jacques Rupnik, directeur de recherches à Sciences Po.

Cette attitude, est en partie liée à l’histoire, pense ce chercheur : «Cela s’explique par des raisons qui tiennent à leur passé communiste. Pendant 45 ans, ils ont été des régimes de la fermeture et le rideau de fer empêchait la circulation des populations. Et depuis 1989 (chute du Rideau de fer, NDLR), ils ont connu une grande mobilité à l’intérieur de l’Europe mais n’ont pas connu, eux, de vagues migratoires venant du Sud, comme les pays d’Europe occidentale. Ils ont donc connu un développement différent et ne sont pas prêts pour un accueil massif de réfugiés qu’ils considèrent comme déstabilisant.»

Avant le crack financier de 2008, l’appartenance à l’UE de ces pays (qui ont rejoint l’Union en 2004) n’était pas remise en cause, observe de son côté le site visegradgroup.eu. Tout un chacun semblait alors apprécier les «valeurs européennes ‘‘communes’’», «jusqu’à ce qu’elles soient testées à grande échelle dans la réalité, comme (lors de) la crise des réfugiés ou de l’euro».
 
Et le site du V4 de rappeller le clash entre Viktor Orban et la chancelière allemande Angela Merkel le 2 février 2015. «Honnêtement, “non libéral” (illeberal) et “démocratie” ne peuvent pas, selon moi, aller ensemble», a dit la chancelière, pour qui «les racines de la démocratie sont toujours, entre autres, dans le libéralisme». Réponse de son collègue hongrois: «Nous ne pensons pas que la démocratie soit nécessairement libérale. Ceux qui le prétendent privilégient un seul système de pensée, et nous ne pouvons y souscrire», selon des propos traduits par Le Monde
 
Employé de Citroën sur une chaîne de C3 à Trnava (Slovaquie) le 15 octobre 2010 (REUTERS - Radovan Stoklasa)

L’UE menacée dans son existence ?
Au-delà de ces différences à la fois idéologiques et culturelles, faut-il voir, derrière ces divergences, une menace importante pour la survie de l’Union européenne ? Selon des diplomates cités par Reuters, «au-delà d’efforts communs pour bloquer une politique de l’EU qui leur déplaît, Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie ont trop peu de choses en commun pour former un bloc cohérent et résister à un approfondissement de l’Union ou (pour) démanteler les valeurs libérales», estime Reuters. Ces pays ont en effet des divergences majeurs sur des dossiers comme les relations avec la Russie ou l’Allemagne, l’appartenance à la zone euro…

Dans ce contexte, le groupe de Visegrad peut-il bloquer le processus d’intégration européenne ? «Il peut être à l’origine de maux de tête s’il influence des pays voisins comme la Roumanie ou la Bulgarie», observe The Economist.

Mais le poids de l’UE pèserait désormais trop dans les économies est-européennes pour remettre en cause l’Union. «Pour chacun de nos pays, notre relation bilatérale avec l’Allemagne est bien plus importante que nos intérêts communs», a expliqué un diplomate slovaque à Reuters. Nul hasard si la Slovaquie, pour qui l’automobile est le principal moteur industriel, et qui accueille notamment les usines Volkswagen, a rejoint la zone euro. Alors que ce n’est pas le cas des trois autres Etats.

Les pays est-européens ne peuvent pas non plus se passer des fonds venus de Bruxelles. A titre d’exemple, ceux-ci représentent 6 % du PIB de la Hongrie. Ce que l’on sait fort bien dans les capitales ouest-européennes. Conséquence : en septembre 2015, en pleine crise des migrants, l’Allemagne a fait savoir que les fonds de l’UE pourraient être coupés aux pays qui rejettent l’idée de quotas de répartition. L’éternel mur d’airain de l’argent… 

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