Cet article date de plus de sept ans.

Nouvelles technologies: vers une société sans emplois?

Les nouvelles technologies créent-elles des emplois? En cette période de chômage important, le débat est récurrent. A en croire de nombreux économistes, la nouvelle économie devrait produire de nombreux postes de travail après une phase de destruction… Or rien n'est moins sûr. Même aux Etats-Unis, le doute apparaît.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'économie numérique progresse partout. Difficile encore d'en mesurer toutes les conséquences. Notamment en termes d'emplois. (Wang zhaofeng / Imaginechina)

Un long article du très sérieux Wall Street Journal douche sévèrement l'optimisme de ceux qui pensent que l'augmentation du chômage liée à l’apparition de changements techniques devrait être (rapidement) compensée par de nouveaux emplois.
 
Le journal économique américain titre Le boom de la technologie en Amérique a un inconvénient: l’emploi. Et les auteurs de l’article de détailler comment les Américains ont peu profité de la nouvelle économie numérique. «La révolution technologique nous a fourni le moteur de recherches Google, des amis grâce à Facebook, des applications sur l’iPhone, Twitter et l’achat en ligne sur Amazon au cours des dix dernières années et demi. Ce qu’elle n’a pas fourni ce sont les emplois.» Pour preuve, l’article donne un chiffre: «Après avoir augmenté au cours des années 1990, l'emploi total dans les entreprises informatiques et électroniques aux Etats-Unis est passé de 1,87 million en 2001 à 1,03 million en août.»

«Destruction créative» ou «déception technologique»
Les théories de l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) semblent avoir du plomb dans l’aile à la lecture de cet article. Selon les thèses de cet économiste très en vogue, l'innovation portée par les entrepreneurs est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Cette innovation peut certes amener des destructions d’entreprises et d’emplois, mais au final de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois remplacent celles et ceux qui ont été perdus. C’est ce qu’on a appelé la «destruction créatrice». Si cette théorie s’est souvent révélée juste, aujourd’hui elle suscite pour le moins des doutes.

Pour les auteurs de l’article, l’optimisme lié à cette révolution est «loin de ce que beaucoup de leaders politiques, d’entrepreneurs ou d’économistes ont prédit il y a une génération». Selon le journal de la finance, la «destruction créatrice» semble plutôt faire place à une «déception technologique».
 
Magasin Apple store en Chine. Aux Etats-Unis, la moitié des 80.000 salariés de la firme créée par Steve Jobs travaillent dans les magasins de la marque. (Wang yadong / Imaginechina)

Cette déception se manifeste de plusieurs façons. Non seulement la création d’emplois a été faible, mais les nouvelles technologies semblent avoir accru les inégalités sociales. Sans compter qu’une grande partie des emplois créés dans ces secteurs l’ont été… à l’étranger, en Chine notamment.
 
22% de salariés en moins 
A cela, il faut ajouter que le secteur de la nouvelle économie se développe en créant encore moins d’emplois qu'elle ne le faisait. Les cinq grands actuels (Apple, Google, Microsoft, Facebook et Oracle) ont 22% de salariés en moins que les cinq grands des années 2000 (Cisco, Intel, IBM, Oracle et Microsoft), note le journal. Ajoutez à cela que, toujours selon le Wall Street Journal, la création de start-up ralentit... Il y en aurait eu 79.000 en 2011 contre 113.000 en 2001 et 64.000 en 1992. 
 
Les analystes divergent et certains rappellent que cette révolution n'est pas la première. Ils expliquent que ce débat a déjà eu lieu lors de la première révolution industrielle. «Au XIXe siècle, la machine a remplacé le cheval qui ne s’est pas plaint et a disparu comme outil de travail. Au XXIe siècle, elle remplace les cerveaux, ce qui crée beaucoup d’inquiétudes, notamment chez ceux qui ont des emplois peu qualifiés», rappelle l’économiste Jean-Marc Daniel dans l'Opinion. Le même article montre que la robotisation n'est pas forcément l'ennemi de l'emploi en expliquant qu'il y a plus de chômage en France qu'en Allemagne alors que le nombre de robots est supérieur outre-Rhin. «En France, nous avons 125 robots industriels pour 10.000 emplois manufacturiers, en Allemagne, 261, et en Corée du Sud, 347. En regard, le taux de chômage en France est de 10%, en Allemagne de 6,2% et de 3,7% en Corée.»

Autre donnée: En 2013, «selon l'association France Digitale qui regroupe plus de 100 start-up et investisseurs français, le secteur numérique affiche une croissance annuelle de 33%, un accroissement de ses effectifs de 24% en moyenne chaque année et crée 87% d'emplois pérennes».

Uberisation, précarisation?
Les questions liées à la «quatrième révolution industrielle» avaient déjà été évoquées lors du sommet de Davos de 2016. «La technologie devrait tuer 5 millions d’emplois d’ici 2020», estiment les auteurs d'une étude pour le Forum économique mondial (WEF). «L'intelligence artificielle, la robotique et la biotechnologie, perturberaient le monde des affaires d'une manière similaire aux révolutions industrielles précédentes», ajoute le WEF. «7,1 millions d'emplois dans les pays les plus riches de la planète pourraient être perdus grâce à la redondance et l'automatisation. Ces pertes seraient partiellement compensées par la création de 2,1 millions de nouvelles opportunités dans des secteurs tels que la technologie, les services professionnels et les médias.» 

la société Uber est devenu synonyme de la précarisation des emplois créés par l'économie de plateforme. (EITAN ABRAMOVICH / AFP)

Aujourd’hui, le débat continue sur les conséquences de ces changements entre optimistes et pessimistes alors que le progrès technique semble s’accélérer. Automatisation de plus en plus poussée, apparition de robots, disparition de toutes les formes de routines effectuées par des humains…économie de plateforme. Quelles vont être les conséquences pratiques de ces changements sur le monde du travail: précarisation, ubérisation, chômage? 

Et c'est là que la question devient assez politique. «La bonne façon de poser la question n’est pas de demander s’il restera des emplois, écrit Jean Tirole, prix Nobel d'économie, plutôt libéral, dans son livre Economie du bien commun. La vraie question est de savoir s’il existera suffisamment d’emplois rémunérés par des salaires que la société considérera comme décents.»  

Le Wall Street Journal dans son article explique en partie les succès de Bernie Sanders et de Donald Trump par les inquiétudes liées à l'emploi et aux revenus. En Europe, à côté des empoignades habituelles, la montée des propositions sur le salaire universel est une autre façon de tenter de répondre aux angoisses induites par cette révolution.

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