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Otto Skorzeny, un ancien officier SS devenu agent israélien

Otto Skorzeny, lieutenant-colonel dans la SS, fut l’un des officiers favoris d'Hitler qui lui confia des missions rocambolesques. Après guerre, celui qui fut qualifié par les Alliés d’«homme le plus dangereux d’Europe», aurait été embauché par... le Mossad israélien. But : aider à démanteler un réseau de scientifiques allemands chargés d’un programme de missiles balistiques pour l’Egypte.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'officier SS Otto Skorzeny en 1943 ( Creative Commons Bundesarchiv, Bild 101III-Alber-183-25 / Alber, Kurt / CC-BY-SA 3.0)

L’affaire du recrutement d'Otto Skorzeny par le Mossad a été révélée le 27 mars 2016 par une enquête extrêmement fouillée du journal israélien Haaretz.

Lui, l’homme à la cicatrice sur la joue, très apprécié d'Hitler, aurait été jusqu'à tuer d'anciens serviteurs du IIIe Reich pour le compte de l'Etat hébreu. Il aurait ainsi abattu de ses mains le 11 septembre 1962 près de Munich Heinz Krug, un spécialiste allemand des missiles balistiques V2 lancés sur la Grande-Bretagne à la fin de la Seconde guerre mondiale. Au début des années 60, Heinz Krug appartenait à une équipe comprenant «des dizaines d’experts des fusées nazies embauchés par l’Egypte pour fabriquer des armes nouvelles pour le compte de ce pays».

Sa disparition n’a pas été, loin s’en faut, la seule mission d’Otto Skorzeny pour le Mossad. En Egypte, il a «établi une liste détaillée de scientifiques allemands avec leurs adresses», raconte Haaretz. Il a «également fourni les noms de sociétés écrans européennes» intervenant dans le cadre des projets militaires égyptiens. Tout en participant à une campagne d’intimidation de ces scientifiques. Laquelle campagne «fut couronnée d’un grand succès, puisque la plupart des Allemands incriminés finirent par quitter l’Egypte». Bref, l’agent Skorzeny «a apparemment prouvé qu’il était totalement fiable», rapporte Haaretz dont les sources refusent d’être identifiées.

«Danse avec le diable»
Né en 1908 à Vienne (Autriche), l’homme a rejoint le Parti nazi en 1931. En 1939, il s’engage dans la division SS Leibstandarte, la garde personnelle de Hitler.

L’homme avait donc tout pour être haï des Israéliens. D’autant que comme officier SS, il a participé aux campagnes militaires en Pologne et en Russie où il a pu prendre part à l’extermination des juifs («Shoah par balles»). Sans qu'il y ait de preuves formelles à ce sujet. Après la reddition de l'Allemagne, il est acquitté de crimes de guerre par les Alliés «dans des conditions douteuses» (selon Le Figaro). Il trouve refuge dans l’Espagne franquiste. Et conseille notamment le président argentin Juan Perón (précision : c’est en Argentine que fut enlevé Adolf Eichmann).

Otto Skorzeny en 1945 (Creative Commons - Bundesarchiv, Bild 183-R81453 / CC-BY-SA 3.0)

C’est pourtant cet homme qui est recruté par le Mossad. Et c’est cet ancien nazi que son officier traitant, Yosef Raanan, lui aussi né autrichien, a fait venir secrètement en Israël. Il est présenté à Isser Harel, le patron du service israélien d’espionnage. On va même jusqu’à lui faire visiter le mémorial de Yad Vashem, qui commémore la mémoire de l’Holocauste… Là, l’ancien officier nazi «s’est cantonné dans le silence et semblait respectueux», écrit Haaretz.

Mais au cours de la visite, un survivant de la guerre se dirige soudain vers lui en l’appellant par son nom et le traitant de «criminel de guerre». «Raanan, excellent acteur comme tout bon espion doit savoir l’être, sourit à l’homme et lui dit doucement : ‘’Non, vous vous trompez. Il est de ma famille et c’est lui-même un survivant de l’Holocauste’’», rapporte le quotidien israélien. L’illustration d’une sorte de «danse avec le diable», pour reprendre une expression du journal…
 
Yosef Raanan avait approché l’ancien SS dans un scénario qui aurait pu sortir de la plume de Gérard de Villiers, le père de SAS. Skorzeny et Raanan, chacun accompagné d’une femme, s’étaient rencontrés dans un bar luxueux de Madrid. A la suite d'une série de péripéties, l’ancien SS avait sorti son révolver dans une ambiance arrosée et… très sexuelle. Raanan s’explique. Skorzeny n’exprime alors qu’une exigence, et une seule : être rayé de la liste des criminels nazis les plus recherchés, établie par Simon Wiesenthal. Il insiste sur le fait qu’il n’aurait pas commis de crimes de guerre. Et de préciser : «L’argent ne m’intéresse pas, j’en ai assez»
 
Par la suite, le Mossad a effectivement tenté de convaincre le «chasseur de nazis» d’enlever le nom de l’ex-nazi de la fameuse liste. En vain. Le service secret finit par fabriquer une fausse lettre de Wiesenthal confirmant que le nom a bien été rayé…

Quelles motivations ?
Cette affaire est sans doute un indice permettant de comprendre les motivations de l’ex-officier SS, qui ne parle évidemment pas, dans son autobiographie, de sa surprenante collaboration avec l’Etat hébreu. Dans cette autobiographie, on ne relève «pas une seule fois le mot ‘‘Israël’’, ni même le mot ‘‘juif’’», observe Haaretz.

De fait, en travaillant avec le Mossad, Skorzeny cherchait sans doute une assurance-vie : en clair, le moyen de ne pas être abattu par les Israéliens qui, à l’époque du procès Eichmann, n’hésitaient pas à tuer les anciens criminels nazis.

Otto Skorzeny à Budapest en 1944 (Creative Commons - Bundesarchiv, Bild 101I-680-8283A-30A / Faupel / CC-BY-SA 3.0)

Mais le côté aventurier de ce baroudeur a pu aussi l'inciter à rejoindre les rangs du Mossad. Un baroudeur qui, en 1943, avait libéré le dictateur fasciste Mussolini, assigné à résidence dans un nid d’aigle du massif des Abbruzes, à la tête d’un commando arrivé sur place en... planeurs. L'année suivante, il avait dirigé, pendant l'offensive allemande des Ardennes fin 1944-début 1945, l’opération Greif dont l’objectif était d’infiltrer de faux GI’s américains à l’arrière des troupes alliées pour y semer la pagaille.

«L’idée de collaborer avec des espions fascinants, même s’ils étaient juifs, a dû agir comme un aimant» pour Otto Skorzeny qui avait reçu des mains d’Hitler la Croix de fer, la plus haute distinction allemande, pense le quotidien israélien. L’ancien officier nazi «appartenait à cette sorte d’homme qui devait se sentif rajeunir et revivre par le meurtre et la peur»
 
L’article n’exclut pas qu’Otto Skorzeny, mort d'un cancer en 1975 à Madrid, ait pu agir, poussé par un souci d’«expiation» vis-à-vis de son action pendant la Seconde guerre mondiale. Tout en précisant que «les psychologues du Mossad en doutent»

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