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Pour les Nigérianes, le rêve européen se termine souvent dans la prostitution

Elles étaient 433 en 2013, 1.454 en 2014, 5.653 en 2015 et plus de 7.000 pour les neuf premiers mois de 2016. « Elles», ce sont les Nigérianes qui sont arrivées sur les côtes italiennes. Mais ensuite, pour la plupart d’entre elles, la prostitution est leur seul avenir en Europe.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Prostitution sur une route italienne en 2016. (Leemage)

Pas moins de 80% des Nigérianes arrivant en Italie sont poussées à la prostitution. C’est le chiffre que donne l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui s’inquiète de l’ampleur que prend cet aspect méconnu du trafic de migrants en Méditerranée.

Certes, l’affaire n’est pas nouvelle, mais elle prend de l’ampleur. En 2006, un rapport de l’OIM notait déjà à propos du Nigéria que «les faibles opportunités de travail rendent les jeunes femmes particulièrement vulnérables à la traite à des fins d’exploitation sexuelle». Ce rapport notait que «si les femmes sont de plus en plus conscientes qu’elles seront exploitées sexuellement à leur arrivée en Europe, elles ignorent souvent dans quelles conditions elles seront exploitées.» Selon l’OIM, déjà en 2006, la somme redevable par ces femmes pour rembourser leur passage vers l’Europe se montait à des sommes allant de 40.000 à 100.000 dollars
 

La plupart de ces femmes viennent des régions pauvres du Nigeria (190 millions d’habitants et premier producteur d’or noir d’Afrique), souvent de l’Etat d’Edo, capitale Benin City. «Pourquoi Edo? Pourquoi Benin City? Je retourne cette question dans ma tête. Ça me donne des migraines», s'interroge sœur Bibiana, une religieuse qui tente d'aider les jeunes femmes à leur retour d'Europe, rapatriées volontaires ou expulsées. «Mais ça les démange de repartir», soupire-t-elle.

Une dette de 20.000 à 50.000 euros
Pourtant, les mensonges sur le rêve européen commencent dès le départ: «Elles sont approchées par des «mamas», nom donné aux maquerelles qui les forceront à se prostituer. Ces trafiquantes, que les familles connaissent et à qui elles font confiance, promettent monts et merveilles aux parents. Etudes et travail attendraient les jeunes filles en Europe. Bref, un avenir radieux», raconte La Tribune de Genève. Viennent ensuite les abus et les violences du voyage, notamment lors de la remontée du continent vers les côtes méditérranéennes. Il faut lire à ce sujet le rapport de l’Agence internationale sur les migrations sur le «marché des esclaves» qui a lieu en Libye. 
 
Pour assurer leur sécurité, les trafiquants utilisent tous les moyens: «Avant le départ, ils s’assurent le silence des filles. Ils organisent une cérémonie vaudou appelée le "juju". Durant ce rituel traditionnel, elles passent un contrat devant les esprits. Cet engagement les oblige à rembourser une dette allant de 20.000 à 50.000 euros pour le transport jusqu’en Europe et à ne jamais révéler le nom des trafiquants. Si une des filles viole le "contrat", un malheur pourrait s’abattre sur sa famille et sur elle-même», ajoute La Tribune de Genève
 
Les femmes, issues de milieux pauvres et très peu éduquées, n'ont pas les moyens de rejoindre l'Italie. Mais à Benin City, les «cartels» de la traite humaine pullulent. Il suffit de trouver une «madame» (patronne) pour organiser le voyage, des faux papiers et la promesse d'un «emploi». Certaines pensent devenir coiffeuses, d'autres qu'elles se prostitueront dans de grands hôtels. Beaucoup ne posent pas de questions.

Benin City au Nigeria en 2017, «capitale» du trafic des prostituées vers l'Europe.  (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

«Se débrouiller» en Europe
Arrivées en Europe, elles travailleront (le terme utilisé est «se débrouiller») plusieurs années sur les trottoirs de Palerme ou de Paris, entre 5 et 15 euros la passe, pour rembourser leur dette. Entre 20.000 et 50.000 euros (voir témoignage sur France 3). 
 
Pendant ce temps à Benin City, la pauvreté ambiante se mêle aux innombrables églises évangélistes et aux bureaux Western Union, d'où l'on reçoit l'argent des enfants partis «se débrouiller» à l'étranger. Avec la récession qui frappe le Nigeria depuis plus d'un an, entraînant l'effondrement de la monnaie nationale (naira), 30 euros représentent désormais une somme importante.
 
Un salaire minimum à envoyer à sa famille et devenir ainsi celui qui «a réussi et que les autres respectent»

Le poids de la pauvreté est tel que ce sont souvent les femmes qui encouragent cette traite. «Pour de nombreuses familles, le fait que leur fille parvienne à se rendre en Europe représente la seule façon d’échapper à la pauvreté. Nombre de femmes victimes de la traite sont les aînées de leur famille et se sentent responsables de leur famille. Si des efforts ont été faits en matière de sensibilisation au problème de la traite au Nigeria, on constate que ces dernières années les trafiquants se sont concentrés sur des zones rurales où les femmes et les filles, plus pauvres, ont plus difficilement accès à l’information et peuvent être facilement influencées par des rites religieux», notait déjà en 2006 l'OIM.

Un trafic qui ne peut fonctionner que parce qu'il y a une «demande» en Europe. «Le nombre de victimes est en constante augmentation du fait d’une organisation criminelle qui excelle à s’auto-reproduire. Traitées comme des esclaves, les femmes sont acheminées, stockées, maltraitées, utilisées et rentabilisées. Commerce de femmes noires pour répondre aux prétendus "besoins sexuels" d’hommes européens blancs et aisés, cette colonisation new look prospère dans l’indifférence générale», estime le Mouvement du Nid, ONG spécialisée dans la lutte contre la prostitution.

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