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Turquie: la guerre dans le sud-est à majorité kurde

La Turquie est en guerre. Contre une partie de sa population. Ankara a imposé le mardi 5 avril 2016 un couvre-feu dans la ville de Silopi, dans le sud-est du pays. D’autres villes de la région, à majorité kurde, sont aussi placées sous couvre-feu. Preuve de la tension qui règne entre forces de l’ordre et militants kurdes, sept policiers ont été tués le 31 mars à Diyarbakir.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Recep Tayyip Erdogan assiste à une cérémonie funèbre le 17 février 2016 à Ankara pour le gendarme Seckin Cil, 29 ans, tué dans une opération «anti-terroriste» dans le district de Diyarbakir. (VOLKAN FURUNCU / ANADOLU AGENCY)

Difficile de savoir quel est le bilan de cette guerre. Une guerre loin des yeux des journalistes européens. Le président turc RecepTayyip Erdogan a affirmé fin mars que 355 membres des forces de l'ordre avaient trouvé la mort dans les affrontements qui ont repris dans la région depuis l'été. Il a également affirmé que 5.359 membres du PKK avaient été tués.

Villes assiégées, bombardements, couvre-feu et attentats contre les forces de l’ordre. «Nous vivons le 1915 des Kurdes», soupire Ahmet, maître forgeron, en évoquant cette année fatidique qui marqua le début du génocide des Arméniens. cité dans Libération.


«C’est une guerre civile» 
Diyarbakir, Sur, Silopi… toutes les villes de la région ont subi le passage des forces de répression turques venues lutter contre le PKK et ses soutiens, depuis le réveil du conflit entre le pouvoir d’Erdogan et les autonomistes kurdes en juillet 2015. Un exemple montre l'ampleur des affrontements entre les deux camps: la «capitale» kurde, Diyarbakir, entourée de ses murailles noires, ville classée au patrimoine de l’Unesco, a vu son cœur passer de 121.750 habitants, selon le recensement, à à peine plus de 30.000, d’après la municipalité.   

«La Turquie est prise dans une spirale de la violence depuis que la trêve entre le PKK et l’AKP (parti au pouvoir, NDLR) est tombé à l’eau en juillet. Depuis, c’est une surenchère qui n’est pas près de se tarir. Pire, c’est une guerre civile qui est en train d’atteindre l’ouest du pays et d’affecter des civils, ce qui n’était pas arrivé depuis 1984», analyse pour France 24 Cengiz Aktar, professeur de sciences politiques à l’université Bahçesehir d’Istanbul.

Massacre à Cizre
Les forces gouvernementales agissent tous azimuts, dans les campagnes du sud-est de la Turquie, mais aussi en dehors des frontières du pays. On ne compte plus les raids turcs contre les Kurdes en Irak ou en Syrie. Les Turcs auraient même interdit aux Kurdes de Syrie d'attaquer l'EI à l'ouest de l'Euphrate.  


Les militants du PKK, eux, ont tenté de concentrer leur révolte dans les villes à majorité kurde. Des tranchées ont été creusées et des barricades érigées pour «protéger» les villes «libérées». En représailles, les forces turques ont repris les villes à l'arme lourde. Chars et canons ont appuyé les forces du pouvoir central. 

Le 7 février, après la mort dans la localité de Cizre de 60 civils kurdes brûlés alors qu’ils étaient réfugiés dans les caves de deux immeubles, le leader du Parti de la démocratie des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, a accusé le pouvoir d’avoir sciemment perpétré un «massacre». «Les autorités ont ensuite dispersé les corps des victimes dans les rues et les maisons dévastées (par les combats) comme si les cadavres étaient déjà là», a dit le responsable de la troisième force politique du pays. Un journal militant donne un récit de ce sanglant épisode de la guerre des villes.

Alors que l'Europe négociait un accord avec la Turquie sur la question des réfugiés, l'épisode a poussé un eurodéputé espagnol, Javier Couso (Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique, GUE/NGL), à demander à la Commission d’ouvrir une enquête indépendante sur les faits.

L'ampleur de la réaction de l'Etat central a provoqué des interrogations dans le camp kurde sur la pertinence des choix stratégiques du PKK.  L’armée turque, qui a mobilisé 10.000 soldats selon Reuters, a en effet multiplié les offensives pour débusquer les combattants du PKK, imposant des couvre-feux quasi-permanents. Entre le 16 août 2015 et le 5 février 2016, Ankara en a imposé 59 dans les villes de Diyarbakir, Sirnak, Mardin, Hakkari, Mus, Elazığ et Batman, affectant 1,3 million d’habitants.


La presse sous pression
Pendant que dans le sud-est, les combats se poursuivent, l'Etat continue son combat contre les différentes formes d'opposition ou de critiques. Le procès de deux journalistes d'opposition, considéré comme un test pour la liberté de la presse en Turquie, se déroule à huis-clos. Accusés d'espionnage par le pouvoir, ils risquent la prison à vie pour avoir dévoilé des informations sur des armes allant vers la Syrie. «On ne pourra pas faire taire la liberté de la presse», a scandé la petite foule de partisans, militants d'ONG et députés d'opposition venus applaudir Can Dündar, rédacteur en chef du quotidien Cumhuriyet et Erdem Gül, son chef de bureau à Ankara, à leur entrée au tribunal d'Istanbul.


Face à ce conflit, l'Union européenne a adopté une position prudente. Sous l'impulsion de l'Allemagne, l'UE a signé un accord avec Ankara sur la question des réfugiés. Et après une colère du président turc sur le silence européen qui a suivi des attentats en Turquie, la porte-parole de la Haute représentante de l'UE, Federica Mogherini, a déclaré: «Au nom de l'Union européenne, nous réitérons notre solidarité continue avec la Turquie, son gouvernement et son peuple, confirmant notre plein soutien à la lutte contre le terrorisme et la violence» tout en rappelant que le PKK «est sur la liste de l'UE des organisations terroristes». Federica Mogherini a aussi appelé Ankara à «se réengager dans le processus de paix kurde qui avait donné récemment autant de résultats positifs et prometteurs»

Un processus qui semble bien loin.

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